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« The Botanist » : découvrez l’arboretum d’Amelia Boar

« Bienvenue dans l’arboretum d’Amelia Boar.
Vous trouverez près de chaque spécimen une fiche signalétique et descriptive pour compléter votre promenade et lui donner du sens… »

Lorsque nous sommes arrivés dans la région, nous étions très pauvres. J’étais alors une toute jeune enfant. Nous vivions dans une cabane de fortune à la lisière d’un bois, que nous partagions mon père, ma mère, et moi, avec ma grand-mère malade. Un vrai roman de Dikens ! Il y avait près de la maison un vieux noisetier qui donnait toujours beaucoup de fruits. Il y en avait assez pour l’écureuil qui nichait non loin, et nous. Je me souviens bien des jours de cueillette ; Malgré la fatigue de mes parents, qui travaillaient beaucoup, ces journées étaient toujours une joie partagée. Ces noisettes nous furent d’un grand réconfort une partie de nos hivers.

Lorsque nous avons quitté la vieille cabane, après que mes parents se soient fait une situation, nous avons vécu dans plusieurs maisons, mais partout, à chaque fois, il y avait un noyer. Je devins très vite attachée à cet arbre. J’avais l’impression de partager avec lui un sentiment d’isolation, d’être loin de ma terre (ou qu’elle soit), de m’accrocher à l’idée d’un chez-moi que je ne trouvais nulle part. Je m’adossais aux troncs de ces noyers successifs pour lire, dessiner, rêver. Je me suis toujours amusée de la ressemblance entre un noyer, vu en coupe sur les planches de dessin arboricole, racines comprises, et un cerveau humain. Et je me souviens très vivement du bonheur de découvrir que le fruit de cet arbre était comme un petit cerveau dans sa boite crânienne. Dans mon esprit, le noyer est devenu un arbre cérébral, qui réfléchit beaucoup. Comme moi. Je me suis mise à lui parler…
Bien plus tard, j’ai trouvé mon chez-moi, là où je vis avec mon mari. Il n’y a pas de noyer. Je me dis que je n’ai plus besoin de ce jumeau de bois.

Non loin de l’une des maisons de mon enfance, celle où j’ai demeuré le plus longtemps, il y avait une pommeraie sur un terrain bien pentu. Quand on dévalait la côte, tout en bas, il y avait un gros chêne avec sur son tronc des planches clouées en escalier. Il n’y avait pas vraiment de cabane construite dans ses branches mais celles-ci étaient agencées, comme d’un fait exprès, en creux avec une base bien plate où il était aisé de s’installer. Personne ne savait que nous allions là, les après-midi d’été, avec une autre gamine du village. Nous y mangions des biscuits, des pommes chapardées, nous échangions des trésors. L’arbre lui-même était notre cabane. Le chêne restera toujours à mes yeux un mélange de ce complice d’une enfance indomptée, et du vénérable empreint de spiritualité.

Ma mère nous a quittés, un matin de janvier, après quelques mois d’une lutte perdu d’avance contre la maladie. Il n’était pas prévu de fêter le noël  juste avant. Personne n’avait la tête à ça. Et puis, sur un coup de tête, le soir du réveillon, mon père est sorti et est revenu avec un sapin en pot. La magie, ce soir-là, ne vint pas des ornements miroitants que nous y suspendîmes, mais des derniers sourires, faibles, de ma mère, redevenue alerte – comme d’un fait exprès – pour nous accompagner cette dernière fois.  Le sapin a bien poussé, depuis, dans le jardin de mon père où il fut planté par la suite. Une part de lui subsiste dans tous ceux que je décors chaque année depuis lors.

J’ai vécu de nombreuses années en ville. Ce furent parmi les plus noires années de ma vie. Les rues crasses, les bâtiments tristes, la maison étouffante de petitesse, et pas le moindre arbre à l’horizon… C’était tout ce que je pouvais m’offrir à l’époque. Et tout était coupant ; les bruits, les odeurs, les gens qui ne s’arrêtaient pas pour prendre racine ne serait-ce qu’un instant. A mon arrivée ici, j’étais endommagée par mille formes d’agression ; celles de la ville, et celles, aussi, de hantises plus anciennes. Puis j’ai trouvé un semblant de paix, puis de force, en la présence des peupliers grisards qui forment un clan au fond du jardin. Ils devinrent mes professeurs en résilience.
Un peuplier ne meurt pas. Ou plutôt lorsqu’il tombe, il renait au centuple… de ses racines. Et voilà la leçon de ces messagers qui chantent et dansent avec le vent. La nature peut vous faire ployer, elle vous fait rarement rompre, et si d’aventure la main de l’homme venait à vous briser, c’est de vos racines – qu’il faut cultiver profondes – que vous renaitrez.

Dans un bois où mon mari et moi aimons nous promener, au flanc d’une clairière, il y a un grand hêtre un peu esseulé. La météo, ou l’ingérence de l’homme, lui a causé un dégât au ventre duquel ont jaillis de superbes branches épicormiques. Cet arbre est immédiatement devenu un ami, et un rendez-vous obligatoire à chacune de nos visites. J’ai souvent dessiné son profil, et l’ai photographié, avant de remarquer une particularité qui me l’a rendu précieux pour toujours : un visage. Là dans les branchages gourmands, une expression de malignité vous fixait avec défit, et aurait pu glacer le sang de n’importe quel promeneur. Mais pas le mien. Plutôt que d’avoir peur de ce démon tutélaire, je senti s’éveiller en moi la magie endormie et les histoires oubliées. Je redoublais de respect pour cet arbre – qui avait de toute évidence un protecteur, en priant que le temps et la croissance ne lisse pas trop vite les traits de ce petit être de faerie.

Je ne sais pourquoi le saule est un arbre maudit dans mon village. Quatre sont tombés cette année pour des raisons que je suis incapable de comprendre. Pourquoi vivre à la campagne si c’est pour se plaindre que les arbres ont des feuilles ? C’est à vous rendre chèvre… Et donc, un saule de plus a été sacrifié, devant chez moi, à l’autel de la bêtise humaine. Vieux d’au moins trente ans, magnifique dans son attitude larmoyante, auréolé chaque soir par le manteau du couchant d’une couronne faite d’or pur. Je l’ai pleuré, ce pleureur. J’ai enragé de les voir démanteler son cadavre pour se répartir ce « providentiel bois de chauffage ». Et puis, lorsqu’il ne restait plus que les rameaux maigres, et que la neige a commencé à couvrir les traces du forfait, je suis sortie. J’ai ramené avec moi l’un des branchages indésirables. Mon mari et moi nous sommes mariés sous ce rameau lors d’une cérémonie intime. Il décor aujourd’hui le manteau de la cheminé, et restera dans ma maison comme dans mon cœur. Je ne l’oublierais pas. Grace à lui j’ai eu l’idée de cet arboretum.

Lorsque je réfléchis, comme souvent, et cherche à savoir qui je suis, je m’essaye à quelque comparaison botanique. Je ne suis pas une fleur, c’est évident. Mais quel arbre suis-je ? Pour autant que j’aimerais être un vénérable, et pouvoir m’enorgueillir de la comparaison, je trouve plus de semblance entre le prunellier sauvage et moi. Cette « mère-du-bois », comme on l’appelle en certaines régions est un arbuste de la lisière, un protecteur de sylve. Chez moi, il garde la peupleraie qui lui donne des nouvelles du vent et fraternise avec le frêne. Ses précoces fleurs blanches lui donnent, à tort, une allure délicate mais c’est quand on tente l’invasion, ou que l’on voit son écorce nue en hiver, que l’on découvre pourquoi son nom vrai est « épine-noire ». Peut-être finalement, est-ce présomptueux que de me comparer à cette redoutable sentinelle des bois.

Au cœur de l’arboretum se trouve un frêne majestueux. Sa grise écorce est couverte de lierre et ses rameaux ourlés de noir tardent à se parer de feuille. Ses parents, qui vivent non loin de ma maison, ceinturent les peupliers ; ils sont le seuil. Au mois de mai, recouverts de feuilles sombres presque jusqu’en bas, ils sont le portail clos vers le cœur de la forêt. Le portail pulsant d’une invitation dangereuse mais irrésistible. Il y a de la sensualité dans les bois, au mois de mai, et de l’obscurité. Et les frênes sont ceux qui lancent l’appel. Je me tiens souvent devant eux, en miroir, comprenant qu’une forêt similaire pousse dans mon cœur, opaque et sauvage. Mon âme noire m’est révélée chaque année par ceux-là, de ce noir des chemins non domestiqués des bois. Vert sombre. Noir. Qui sait ?
Le frêne me rappelle qu’il est naturel d’être obscure et indomptée, et qu’il n’est point de paix sans connaissance du danger. Sans acceptation de son ombre.

« Vous vous apprêtez à quitter le sanctuaire d’Amelia. Avez-vous apprécié la ballade? Avez-vous reconnu certains de ces arbres comme étant les vôtres? L’arboretum se veut un livre et un miroir; un havre de paix et de souvenir.
Les visiteurs sont cordialement invités à laisser leurs témoignages à la sortie, à raconter leur relation avec un ou plusieurs arbres afin d’enrichir le sanctuaire. Avec le temps, les noms et les époques se confondent et disparaissent, seule comptent les histoires et les messages portés par le vent et la cime des peupliers dansants. »

4 commentaires

  • Rosa

    J’ai découvert ton travail tout à fait par hasard. Depuis, je te suis dans l’ombre.

    Quelques mots d’encouragement. J’aime beaucoup ce que tu fais.
    C’est fascinant, poétique.

    • Anne

      Merci beaucoup Rosa. Je comprends qu’on suive quelqu’un dans l’ombre, je le fais aussi. Mais ces petites percées lumineuses me vont droit au cœur. Merci d’avoir pris le temps de poser tes encouragements ici :)

  • Clémence

    J’ai beaucoup aimé parcourir ton arboretum car comme je te l’ai dit ailleurs en commentaire, cela m’a beaucoup touché, ayant traversé certaines de ces histoires à tes côtés.
    Je n’avais jusqu’à mon arrivée ici, aucun arbre dans mon coeur, ayant toujours vécu dans Paris où quelques platanes bordaient certaines rues de notre quartier.
    Mais ici… ah ici… tout est différent.
    J’ai appris à vivre au rythme des saisons, à connaitre les plantes, les arbres, les animaux et les insectes qui m’entourent.
    Mon âme de sorcière s’est épanouie à voyager au quotidien dans cette Nature préserver qui entoure notre nid. Et si il y a un arbre qui sait parler à mon coeur s’est avant tout le chêne. Il est présent partout. Sous forme arbustive, maigrichon tordu ou majestueux solitaire au milieu de près et de clairières. Ils sont mes gardiens, mes protecteurs.
    D’autres comme l’épine noire, dont tu as si bien parler, l’aubépine, les saules gris et pleureurs peuplent mon arboretum…
    Et j’ai vraiment hâte de tous te les présenter, qu’on aille se promener, s’assoir entre leurs branches ou leurs racines. <3

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